400ème anniversaire de la fondation de QUÉBEC


UNE VIE D'EXIL

LA FAMILLE DETCHEVERRY


 


Saint-Jean de Luz- Donibane Lohitzune

C'est le 28 novembre 1728 à Saint-Jean-de-Luz, dans la maison Candavenia, que naissait un des pionniers de la colonie de Saint-Pierre et Miquelon. Pierre D'Etcheverry était le dernier enfant issu du mariage de François D'Etcheverry avec Marie de Fugasse (D'après un généalogiste de Bayonne, c'est vraisemblablement une erreur du secrétaire de mairie, il s'agit de Marie de Fagosse). Il est venu, comme beaucoup de Basques, en Amérique du Nord pour y pratiquer la pêche.

 


Louisbourg

Pierre, surnommé « Habsou », résidait à Louisbourg en 1751, et c'est à Petit Degras, dans l'île Royale (actuelle péninsule du Cap Breton) qu'il épousa vers 1755 Geneviève La Fargue. Elle était la fille d'un marin basque lui aussi né à Saint-Jean-de-Luz, Joanis La Fargue, et de Marie-Anne Ozellet, sa femme. Pierre et sa femme se fixent ensuite à l'Ardoise sur la côte méridionale de l'île Royale, où ils se construisent une maison.

  Pendant plusieurs années, l'île Royale avait joui d'une paix qui lui avait permis d'atteindre une réelle prospérité. Mais la reprise des hostilités entre la France et l'Angleterre devait y mettre fin. 1755 vit ce que l'on appela le « Grand Dérangement » des Acadiens. Ces derniers furent déportés, et les Anglais prirent bien soin de séparer les membres d'une même famille afin de les déstabiliser. Il en fallait bien plus pour venir à bout de ce peuple si soudé et dont la force était justement l'esprit de famille. Après deux mois de siège par les Anglais, la petite garnison de l'île Royale dut capituler le 26 juillet 1758. Ses habitants furent expulsés vers la France dans des conditions terribles.

   Dans le groupe des expulsés de l'île Royale qui furent dirigés sur Rochefort, on trouve Pierre D'Etcheverry, sa femme Geneviève, et sa belle-mère, Marie-Anne Ozellet. Cette dernière y mourut le 27 octobre 1758, à l'âge de 65 ans, peu de temps après son arrivée en France. Elle n'avait pu résister aux épreuves de la traversée.

   A cette perte vint s'ajouter pour le ménage celle de son premier enfant, une fille âgée de deux ans. Une seconde mourut à peu près au même âge en 1762. Une troisième, Cécile, née à Rochefort le 12 avril 1763, survécut enfin. Pierre, qui s'était vu dépouillé de sa maison à l'ardoise et de ses deux barques de pêche complètement gréées, ne resta pas inactif. Il prit du service à bord d'un bateau côtier, se perfectionnant en même temps dans la pratique du cabotage et passant avec succès l'examen de capitaine au cabotage.

   Après la signature du traité de Paris du 10 février 1763, stipulant que la France cédait à l'Angleterre le Canada avec toutes ses dépendances, mais conservait l'Archipel de Saint-Pierre et Miquelon pour servir de refuge aux navires de pêche français, c'est à Miquelon que vint s'établir la famille D'Etcheverry, devenue Detcheverry.

   Avec plusieurs autres familles acadiennes, certaines revenant de déportations de France ou du Massachusetts, d'autres venant de leurs refuges dans les bois d'Acadie, ils durent, en arrivant à Miquelon, affronter les rigueurs de l'hiver. Ils construisirent des abris provisoires pour se loger. Des planches sans doublage formaient les parois, et des mottes de gazon reposant sur des planches en formaient le toit. Les cheminées étaient faites de torchis (mortier composé de terre grasse et de paille).

 


Bellin - 1763

En 1767, Miquelon comptait 551 habitants et dès 1768, exportait 26 500 quintaux de morue sèche, 70 000 quintaux de morue salée et 350 barils d'huile de foie de morue. Deux ans plus tard, ces quantités étaient doublées. Entre-temps, dans la famille Detcheverry, était né un premier fils, François, le premier mars 1764, puis un second, Pierre, en 1765.

   Pierre Detcheverry (père) mourut prématurément le 10 mai 1773 à l'âge de 44 ans laissant une femme et trois orphelins.

   C'est alors qu'éclatait un nouveau conflit entre la France et l'Angleterre. Le 14 septembre 1778, une escadre anglaise composée de 5 frégates et de 142 canons se présente dans la rade de Saint-Pierre et somme le gouverneur des îles de se rendre.

   Les habitants furent à nouveau expulsés vers la France et embarqués sans même avoir eu le temps de prendre autre chose que leurs hardes. Au fur et à mesure de leur embarquement, et sous leurs yeux, leurs maisons étaient pillées et incendiées, leurs cabanes et leurs chaloupes brisées, leurs bestiaux enlevés.

   Après une affreuse traversée qui vit la mort d'une soixantaine d'habitants, la famille Detcheverry arrivait à Saint-Servan sur le navire « La Marie » le 19 novembre 1778. Selon un document d'archives du Ministère de la France d'Outre-Mer, Geneviève La Fargue était "sans état (profession), pauvre et honnête et avait les reins cassés.

   Après cinq années durant lesquelles ces pauvres réfugiés tentèrent de s'adapter à la vie métropolitaine, vint la signature du traité de Versailles le 3 septembre 1783. L'Angleterre rendait à la France l'Archipel de Saint-Pierre et Miquelon.

   La plupart des familles qui avaient été expulsées en 1778, dont les Detcheverry, n'hésitèrent pas à formuler des demandes pour revenir. Tout était à rebâtir. Geneviève La Fargue et sa fille Cécile, pour subvenir à leurs besoins, élevaient des volailles et cultivaient un jardin, alors que ses fils étaient pêcheurs et charpentiers. François épousa Marie Cormier et Pierre, Marguerite Vigneau.

Le Baron de l'Espérance, commandant de l'île de Miquelon, dans une correspondance au roi, disait de cette population :   « Aucune colonie ne contient de déportés aussi malheureux que ceux des îles. Quel dommage que cette pauvre race d'Acadiens soit vouée au malheur pour l'éternité des siècles ». C'est dire la misère qui régnait dans cette petite communauté en 1793.

   Ces Acadiens, travailleurs de la terre, étaient devenus si bons pêcheurs, que les Anglais en vinrent à jalouser leur succès. Il fallut repousser leurs avances, car ils venaient essayer de recruter des pêcheurs de Miquelon pour leurs établissements du Cap Breton et du Nouveau-Brunswick.

   La prospérité commençait à poindre, lorsque la Révolution Française allait faire sentir ses effets dans l'Archipel. Le 12 avril 1793, ayant refusé de prêter serment à la Constitution, l'abbé Jean-Baptiste Allain s'enfuit aux Iles de la Madeleine avec près de 250 miquelonnais. Ces Acadiens de Miquelon sont à l'origine de la plus grande partie de la population de ces Iles. Les Anglais ne tarderont pas à s'emparer à nouveau des îles, lorsque la France et l'Angleterre entreront à nouveau en guerre en cette même année 1793.

   Contrairement à la précédente prise des îles, les Anglais ne brûlèrent pas les habitations. Ils tentèrent tout d'abord de rallier les habitants à leur cause et de les faire travailler pour eux dans l'île, comme dans tout autre havre de Terre-Neuve. Devant leur refus, les anglais se virent dans l'obligation de transférer à Halifax ces Miquelonnais qui voulaient malgré tout rester fidèles à la France et au catholicisme. La famille Detcheverry, comme tous ces autres Acadiens, opposa une résistance ferme, repoussant toutes les avances des Anglais. Ces derniers se résolurent à les expédier vers la France à bord du navire le « Washington » qui arriva à Bordeaux en juillet 1797. C'est là que furent installés Geneviève La Fargue, François Detcheverry, sa femme et ses enfants, ainsi que la famille de son frère Pierre.

   Ces pauvres réfugiés allaient connaître vingt années d'exil et de misère. C'est dans les bâtiments de l'ancien couvent des Chartreux à Bordeaux que leur mère, Geneviève La Fargue mourut à l'âge de 75 ans le 11 juin 1803, après une vie passée en exil.

   Le traité de Paris signé le 30 mai 1814 ayant rendu à nouveau les îles Saint-Pierre et Miquelon à la France, des dispositions furent prises pour rapatrier les anciens habitants de l'Archipel. En juin 1816, la famille de Pierre Detcheverry arrivait dans l'Archipel à bord de la flûte du Roy « La Salamandre », et la famille de François Detcheverry à bord de la flûte du Roy « La Caravane ». Tout était à reconstruire.

De nouveau, la famille Detcheverry se retrouvait réunie à Miquelon.

Le rapport d'un contrôleur envoyé dans l'île en 1818 notait que son chef, François Detcheverry est bon pêcheur, fait la pêche avec ses fils, habitant distingué, honnête homme, un peu d'aisance, bonne conduite, propre au pays, élève aussi quelques bestiaux. Cette famille mérite toute la considération possible.

C'est ainsi que François et Pierre Detcheverry assurèrent une descendance nombreuse à Miquelon. Ainsi l'arbre généalogique de cette branche Detcheverry compte jusqu'à maintenant près de 500 personnes.



(page mise à jour le 24/4/2006)